Les Forêts artificielles du Plateau des Batéké
Dans la Province de Kinshasa, à quelques heures de route de la Ville, nous arrivons bientôt sur de grands plateaux de savane, hautes herbes et feux de brousses y sont monnaie courante. Peu à peu, en avançant sur le plateau réapparaissent des forêts : ces grands blocs forestiers rectilignes n’ont rien de naturel. Ils sont dans leur grande majorité composés de différentes variétés d’acacias, une espèce extérieure introduite ici par l’homme. C’est dans les années 1970-1980, après de nombreux tests, que cette essence a été sélectionnée pour plantation au détriment de l’eucalyptus ou du pin. Sa croissance rapide ainsi que la qualité de son bois en font une ressource indispensable pour les populations locales qui vivent essentiellement de la production et du commerce de « Makala » : le charbon de bois. En effet, Kinshasa tire essentiellement son énergie des centrales à charbon, les populations font également un usage quotidien du combustible notamment pour la cuisine. Sur les routes du plateau, s’est développée toute la chaine économique du Makala : les producteurs rassemblent leur marchandise en fagots, vendus sur le bord des routes aux chauffeurs de camions surchargés qui à leur tour revendront ces fagots à des commerçants de la capitale. Tout ce charbon est produit de manière traditionnelle, les arbres fraichement coupés sont débités puis rassemblés en tas ordonnés. Ces tas seront ensuite recouverts de paille, puis de terre constituant ainsi les « fours » semblables à ceux que l’on trouvait dans nos forêts européennes deux siècle plus tôt. Les charbonniers veilleront à entretenir des trous d’aération à la base de ces fours de terre, ainsi une fois le feu allumé dans le four, pendant environ une semaine, un processus de combustion lente va amener à la carbonisation du bois. En fin de combustion, la terre est dégagée, le charbon retiré et empaqueté est prêt à être vendu et utilisé.
Le bois d’acacia est réputé produire un makala de très bonne qualité. Cependant de nombreuses recherchent amené les spécialistes à voir d’autres avantages aux plantations d’acacias : hormis le fait d’éviter la coupe des dernières forêts primitives dites forêts de « galerie », l’acacia est un arbre venant fixer le CO2 (dioxyde de carbone) dans le sol pendant sa croissance rapide (il le consomme pour se développer). Il aide également à reconstituer (ou fertiliser) des sols, souvent naturellement pauvres ou dégradés par l’homme, et ainsi à favoriser de meilleurs rendements agricoles par la suite. Ainsi sont nés des systèmes agroforestiers associant plantations d’acacias, également utilisés pour le charbon, en rotations périodiques avec les cultures locales de manioc, maïs ou arachides. Les arbres sont souvent coupés lorsqu’ils atteignent leur huitième ou neuvième année, lorsque leur croissance a fortement ralentie. Par ailleurs, la capacité des acacias à capter le CO2 contenu dans l’air a favorisé la reconnaissance au niveau mondiale de ces forêts artificielles comme « puits de carbone » : capables de ramener sous forme de biomasse une partie du CO2 contenu dans l’atmosphère et responsable du réchauffement climatique. Sur le plateau des Batékés, ce sont plusieurs dizaines de milliers d’hectares qui ont été développés, une surface dont on peut penser que les effets sont véritablement significatifs sur l’environnement.
Il faut enfin ajouter que les populations du Plateau ont été les premières bénéficiaires du développement de ces systèmes agroforestiers. La gestion des parcelles de forêts, mêlées aux champs de cultures, se fait avec les agriculteurs qui sont donc aussi exploitants forestiers et reboiseurs ! Avec tous ces acacias, comment ne pas voir le potentiel mellifère de la zone ? Dans l’optique d’une diversification des revenus, des projets apicoles ont été menés et des coopératives de producteurs sont nées. Les abeilles, que l’on trouve en abondance sur le plateau produisent un miel d’acacia très réputé : un miel clair et liquide, dont la douceur tranche avec la puissance des miels sombres de forêts tropicales qu’on trouve également dans le pays. Si beaucoup d’exploitants sont tentés de délaisser les activités d’agroforesterie au profit de l’apiculture, jugée moins difficile, il ne faut jamais oublier que dans ce milieu artificiel le succès de l’apiculture dépend entièrement de l’entretien des forêts d’acacia. Une forêt vieillissante, non renouvelée, voit ses floraisons diminuer et par conséquent la production de miel chuter. Le plateau des Batékés présente donc un système original et complexe basé sur l’interdépendance et l’équilibre fragile entre des activités agricoles, forestières et apicoles.