Sur la piste des Pygmées Bakas de Nomedjoh
C’est accompagné de Jean-Paul, pasteur évangélique, missionnaire auprès des Pygmées Bakas, que je me suis rendu depuis Yaoundé dans l’Est du Cameroun, à la rencontre de ce peuple ancestral de la forêt dense. Après 4h dans un minibus bondé multipliant les arrêts pour des contrôles de gendarmerie, puis 3 heures en « taxi-brousse » à 9 dans une voiture 3 portes (si, c’est possible) sur des pistes de terres , nous voilà arrivés au cœur de la nuit dans le petit village de Nomedjoh. Fait rare, le village est éclairé : en effet le pasteur est aussi technicien dans l’énergie solaire. Ce village de 1250 habitants possède une école publique accueillant 200 enfants et, un collège récemment ouvert à l’initiative du pasteur qui permet aux jeunes de poursuivre leurs études en évitant les frais liés à un départ en ville.
Il y a 16 ans, le pasteur est arrivé dans cette localité, avec pour but de travailler avec les pygmées Bakas. Ce peuple de la forêt vit depuis des millénaires dans la végétation tropicale, connaisseurs des plantes et des animaux, les Bakas ont longtemps vécu en nomade sans connaitre aucune frontière à leur territoire. Depuis quelques décennies, divers éléments sont venus bouleverser ce mode de vie. Pris entre d’un côté la réglementation stricte de la réserve du Dja, décrétée consultation, et de l’autre la pression des exploitations forestières qui rogne peu à peu leur habitat, les Bakas se sont vu contraint à l’adaptation. Sortant des forêts pour venir s’installer de manière semi-sédentaire à proximité des villages, ils trouvent difficilement leur subsistance en travaillant au service des « Bantous » : les non-pygmées, souvent exploités, ils sont relégués au second rang. Peu nombreux sont ceux qui considèrent avec intérêt la culture de ce peuple, le pasteur est de ceux-là.
Ce passionné d’apiculture œuvre notamment à enseigner les techniques modernes de travail de l’abeille mellifère. L’Apis mellifera dite « adansonii », proche de notre abeille européenne, est naturellement présente dans la forêt tropicale Camerounaise. Qui plus est, les Bakas ont un lien culturel très fort à l’abeille qui rend potentiellement intéressant le développement de l’apiculture. Les hommes grimpent au sommet des plus hauts arbres pour dénicher le précieux nectar : bravant à le dard des butineuses, ils livrent un véritable combat, armés d’une torche ils sortent à main nues les rayons de cire des troncs. L’homme sort presque toujours victorieux de ces affrontements, causant la plupart du temps la mort de la colonie, mais le risque est grand : lorsque survient la chute de plusieurs dizaines de mètres, elle est souvent fatale au chasseur. Si tout le butin est traditionnellement consommé sur place (miel, larve, cire…) le miel a également des utilisations particulières chez les Bakas : le précieux nectar est un objet d’échange, il constitue la dote lors des mariages et l’amende pour réparer les offenses. Ce produit de la ruche revêt une dimension sacrée.
Cependant, dans un contexte en pleine mutation (règles strictes de la Réserve, diminution de l’espace forestier due à la surexploitation…), les Bakas aussi sont forcés à faire évoluer leurs pratiques. Le nombre de colonies d’abeilles sauvages apparaît être en diminution, on ne les rencontre plus aussi facilement qu’avant lors des séjours en forêt: en cause certainement la disparition de leur milieu naturel et peut être aussi la sur-cueillette par les Bakas eux-mêmes. La pratique de l’apiculture en ruche se présente alors comme une alternative à la fois plus productive, moins dangereuse et permettant aux Bakas de continuer à disposer du miel. Peu à peu, les techniques enseignées lors des formations, ainsi que le maniement des ruches Kényanes (KTBH) permettent d’ancrer l’activité chez les pygmées. C’est aussi un véritable avantage comparatif face aux bantous qui ne la pratique que très peu. Qui plus est, les Bakas connaissent parfaitement les espèces d’abeilles présentent dans leur milieu : notamment les abeilles sans-dard (mélipones et trigones) qui peuvent elles aussi être misent en ruche pour produire un miel à haute valeur nutritionnelle et médicinale. Même si le processus prend du temps, si certaines dotations en matériel à l’occasion de différents projets sont parfois perdues ou dégradées faute de suivi et de formation suffisante, l’apiculture demeure une activité alternative fondamentale, écologique et productive, dans la transition forcée à laquelle sont poussés les pygmées Bakas comme bien d’autres peuples indigènes de par le Monde.